Après cet emphatique écrit, suit " le discours
prononcé par Monsieur François Guéneau, à l'aucasion d'Honoré Riquetti
Mirabeau, le dimanche 10 avril 1791.
Mes chers paroissiens,
Ce n'est point pour faire cesser vos plaintes que je monte ce jourd'huy
dans cette chaire évangélique; c'est plutôt pour m'affliger avec vous de
la perte que nous venons de faire de notre appui, notre soutien et notre
ami, l'immortel Mirabeau, qui vient de payer le dernier tribut à la
nature, samedi, deux du courant, en recommandant le peuple si cher à son
coeur, avant que la mort n'ait disposé de sa vie, avant qu'elle ne lui ait
enlevé ses dernières idées pour en faire part à ses confraires, par
l'organe de son ami, Monsieur Taleyrand, l'évêque d'Autun.
Cet homme illustre étoit le véritable ami du peuple, et il nous avoit fait
voire son amitié par les grans dervices qu'il nous a rendu depuis
l'établissement des Etats-Généraux.
Jugez-donc, mes très chers frères, si nous n'avons pas sujet de regretter
cette colonne de notre auguste asemblée et de mêler nos larmes à celles de
nos représentans chéris, à celle de tout un peuple, de tout un royaume,
pour une perte qui nous est si commune.
Rien n'est capable d'empêcher la sensibilité que j'en ait qu'une entière
résignation à la volonté de Dieu. J'espère, mes très chers frères,
qu'étant aussi pieux que vous l'êtes, vous serez touchés des mêmes
sentimens, et que vous vous contenterez de la faire vivre éternellement
dans votre mémoire pour le souvenir de son mérite.
Vous vous consolerez dans l'esprit de ses dignes confrères nos députés,
lesquels vous les voyez renaître, et si nous lui donnons de tems en tems
quelques larmes, ce ne sera que pour joindre nos regrets à ceux de
l'Assemblée nationale, à ceux de l'univers entière, et à ceux de tants de
bons patriotes parmis lesquels ils ne mourrons jamais.
Je ne désapprouve donc pas vos pleures, je les trouves trop justes pour
pouvoir en arrêter le cour. Nous avons perdu une des plus belles fleurs de
notre couronne: pleurons-le, nous avons raison; mais tâchons de nous
consoler d'une perte que nous n'avons pu éviter. Il nous a laissé des
frères qui feront revivre ses vertus: c'est ce qui doit nous faire faire
des réflections sur nous-même. C'est aussi ce qui doit nous engager
continuellement à mourir, puisque nous en ignorons le moment.
Vivons donc, comme si nous devions mourir à chaque instant, c'est à dire
demandons à Dieu qu'il nous fasse la grasse de vivre chrétiennement et de
mourir saintement, afin de pouvoir par une juste mort et un repentir
sicèrent de nos fautes, mériter la récompense éternelle que le Seigneur
promet à ses fidèles serviteurs et que je vous soitent.
Ainsi soitil ".
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