Après quelques heures de marche, elle rencontre des marchands conduisant un troupeau de boeufs à Paris. Questionnée, elle raconte ses mésaventures, et dit qu'elle cherche une famille de placement. Elle chemine avec eux alors que son chien surveille le troupeau. Arrivés à une auberge, Anne étant sans le moindre sou, les marchands lui paient son dîner.

Ils lui achètent pour 24 livres son chien, ce qui la met un peu en fonds, mais la prive de son brave compagnon. Laissant les marchands, elle continue sa route jusqu'à l'orée de la forêt de Fontainebleau, où la nuit la surprend. N'osant traverser dans le noir elle s'endort au bord d'un fossé.

Elle reprend son chemin dès l'aube et rejoint Fontainebleau dans le milieu de la journée. Elle s'enquiert auprès de divers habitants et fait valoir sa qualité de servante. Rien ne plaidant en sa faveur, elle se désole et pleure assise sur une borne, lorsqu'une brave femme lui offre le gîte.

Le lendemain, elle reprend ses recherches et passe devant un bureau d'enrôlement de volontaires pour sauver la Patrie en danger.

Anne s'y arrête, émerveillée par l'enthousiasme patriotique des jeunes gens et par l'uniforme rutilant d'un artilleur présent devant le bureau; elle prend rapidement sa décision.

Elle se rend chez un fripier, achète des vêtements de garçon, puis chez un perruquier se fait couper les cheveux qu'elle vend trois livres.

Elle se change en forêt, et c'est " un jeune garçon " de quinze ans, au teint bruni par le soleil, qui se rend au bureau d'enrôlement.

- "Que voulez-vous, mon ami ?" lui demande le sergent recruteur.
- "M'enrôler !
- Comment vous nommez-vous ?
- Jean Quatsault, né à Nargis près de Montargis.
- Votre âge ?
- Quinze ans et demi .
- Avez-vous des parents ?
- J'ai perdu mon père et ma mère à l'âge de trois ans. Je n'ai que des
frères et soeurs.
- Quelle arme désirez-vous ?
- L'artillerie.
- Mais votre taille est trop petite et vous n'êtes pas assez fort.
- Oh! je suis jeune; je grandirai, puis j'ai tant de bonne volonté, que cela me donnera les forces nécessaires ".


Le sergent sourit et transmet la demande d'enrôlement; après quelques hésitations, on décide de l'admettre dans la brigade d'artillerie de Seine-et-Oise.

Elle y apprend l'exercice, à monter à cheval, à conduire et bientôt, elle fait partie comme charretier(e) du Train de batterie d'artillerie légère. Pour tous, elle était Jean Quatsault, accomplissant son service, avec ponctualité.

Ses premières campagnes s'effectuent en Vendée. Elle passe ensuite dans l'armée du Nord, dans le "Camp de la Lune", supportant avec courage les grandes fatigues et les vicissitudes climatiques, qui font mourir de froid certains soldats. Elle affronte les Coalisés, Anglais, Prussiens, Autrichiens, Saxons, Bavarois.

Après l'évacuation de la Belgique, des villes importantes tombent: Mayence, puis Valenciennes. Les coalisés assiègent Maubeuge. Anne fait partie du corps d'armée que le général Jourdan conduit au secours de la place. La bataille de Wattignies gagnée par les Français a le mérite de débloquer Maubeuge. Elle participe avec ardeur au combat. Au cours d'une marche en avant, sa batterie est culbutée. Presque tous les hommes sont tués ou hors de combat.

Elle conduit une pièce, veut la ramener. En effectuant un demi-tour, un boulet tue les chevaux et renverse les conducteurs. L'un est tué; l'autre, Anne, est grièvement blessée à la cuisse. Sans connaissance elle est transportée à l'ambulance. Revenue à elle, elle craint que les soins dont elle fait l'objet ne finissent par révéler son sexe.


Elle veut retourner au combat, se prétendant peu touchée. A peine est-elle debout, qu'il faut la soutenir pour qu'elle ne tombe pas. Fiévreuse, affaiblie, elle ne peut se soustraire à la visite du chirurgien qui découvre la vérité.

La nouvelle se transmet comme une traînée de poudre; toute l'armée sait qu'une femme a servi sous l'uniforme d'artilleur, qu'elle fait partie des meilleurs qui ont servi avec ardeur et courage. Le général Fromentin se rend à son chevet pour l'interroger après sa blessure. De son enquête, il ressort que personne ne connaissait la véritable identité de Jean Quatsault.

Le général la félicite, lui accorde un congé, mais refuse de la reprendre dans l'armée.