La convalescence d'Anne se prolonge tout l'hiver 1793.
Au printemps 1794, elle arrive à Paris, dans son uniforme en loques. Elle
se présente au Comité de la guerre où elle rencontre le citoyen Gossuin,
chargé de mission de l'Armée du Nord. Après enquête faite auprès du
général Fromentin, Anne reçoit du Ministère de l'Intérieur une provision
de 150 livres. Le 3 floréal an II, Gossuin raconte l'histoire d'Anne à la
Convention Nationale.
"Quintidi 5 floréal an 2 (jeudi 24 avril 1794) - Le Moniteur Universel.
Convention Nationale - Séance du 3 floréal.
Gossuin, au nom du Comité de la guerre.
La citoyenne Quatresous n'a pas seize ans; il y en a trois, que par une de
ces inspirations que l'Amour de la Patrie peut seule expliquer, elle s'est
à la faveur du déguisement, rangée sous les drapeaux de la République.
C'est en vain qu'elle fut d'abord repoussée par l'âge et la taille,
lorsqu'elle se présenta, en mai 1791 au milieu des citoyens de son canton
pour servir comme volontaire; sa résolution s'est fortifiée par les
obstacles mêmes, et elle est parvenue à s'engager à la conduite des
chevaux d'artillerie à Fontainebleau, d'où elle partit pour l'armée de
Vendée; elle fut ensuite à l'armée du Nord et de là dans la Belgique.
C'est dans cette contrée que cette courageuse citoyenne a concouru à nos
premiers succès, et s'est exposée à tous les dangers, toujours à la
conduite des canons, aux sièges de Liège, d'Aix-la-Chapelle, de Namur et
de Maestricht.
De retour dans le Nord, elle a été au siège de Dunkerque et à la bataille
d'Honschoote, où elle eut deux chevaux tués sous elle, après avoir été
elle-même renversée par le souffle d'un boulet.
Lors du bombardement de Valenciennes où elle se trouva, elle fut réduite
de vivre de la chair de cheval pendant trois jours.
Tels sont les principaux traits de civisme dont l'adolescence de cette
intrépide républicaine se trouve déjà honorée.
A juger de son exactitude à remplir ses devoirs, de la décence de son
maintien et de sa persévérance à taire son secret, il n'y a pas de doute
que son intention ne fût de rester à l'armée pendant toute la durée de la
guerre.
Mais quoiqu'elle n'eût confié ce secret à personne, un hasard imprévu l'a
trahi, et dès lors il ne lui a plus été possible de suivre son inclination
belliqueuse, qui n'est pas moins digne d'admiration.
C'et ainsi que s'exprime le certificat de tout le corps d'artillerie
auquel cette jeune héroïne était attachée, et du général Fromentin,
commandant une division de l'armée du Nord. Il constate qu'elle ne s'est
jamais fait remarquer que par le courage et le patriotisme les plus
prononcés.
Il est une particularité remarquable dans la vie de cette citoyenne et qui
semble peut-être mériter d'être recueillie dans les annales du
républicanisme; c'est lorsque, dans la seule confidence d'elle-même, loin
encore de l'âge où toutes les facultés se développent, et trouvant sans
doute dans l'énergie de son heureux caractère toutes les ressources que
donnent des habitudes martiales et l'expérience, elle a médité et exécuté
spontanément un plan qui, dans l'homme courageux et familier aux grands
évènements, eût peut-être été l'objet de longues réflexions.
Il est vrai que, née sous le chaume, elle a été élevée à l'école de deux
grands maîtres: la nature et le malheur qui donnent toujours à l'âme un
ressort tout puissant pour vaincre les difficultés des grandes
entreprises; et si l'on ajoute que tout s'aplanit, surtout devant celles
qui ont l'amour de la liberté pour objet, on aura l'explication du
phénomène rare que présente la conduite vraiment héroïque de la citoyenne
Quatresous dans la pénible et glorieuse carrière qu'elle a parcourue.
Dans le dénuement absolu où elle s'est trouvée en arrivant à Paris, elle
s'est présentée au Comité de la guerre de la Convention, qui l'a renvoyée
auprès du Ministère de l'Intérieur pour une provision de 150 livres
qu'elle a obtenue.
Mais elle attend de la justice nationale, le sort qu'elle estimera devoir
lui accorder d'après le témoignage authentique des vertus civiques dont
cette jeune citoyenne a constamment donné l'exemple pendant les trois ans
qu'elle a combattu, ignorée et sans appui, sous les drapeaux de la
République".
"Voici le décret que je suis chargé de vous présenter":
"La Convention Nationale après avoir entendu le rapport de son comité
de la guerre sur la conduite vraiment héroïque de la citoyenne Quatresous,
âgée de seize ans, qui à la faveur du secret qu'elle a constamment tenu
sur le déguisement de son sexe, s'est rangée sous les drapeaux de la
Patrie, et a été employée depuis 1791 -vieux style- à la conduite des
chevaux d'artillerie dans les armées de la Vendée et du Nord;
Considérant que cette patriote s'est exposée à tous les dangers aux sièges
de Liège, d'Aix-la-Chapelle, de Namur, de Maestricht, de Dunkerque et à la
bataille d'Hondschoote, où elle eut deux chevaux tués sous elle; qu'elle a
également montré le plus grand courage pendant le bombardement de
Valenciennes;
Décrète que la citoyenne Quatresous jouira pendant sa vie, sur le Trésor
National, d'une pension de 300 livres, laquelle sera augmentée de 200
livres à l'époque de son mariage.
Il lui sera payé en outre à la Trésorerie Nationale, sur la présentation
du présent décret, une somme de 150 livres pour se procurer des
vêtements".
Ce décret est adopté.
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