L'histoire, la mienne bien entendu, commence en
1930, quand, un soir, il me faut répondre à une question du "Père"...
Je venais d'avoir 12 ans et mon C.E.P. (Premier du Canton !).
"Alors, que veux-tu faire plus tard ?"
"...Je veux être médecin", rétorquai-je presque négligemment, et comme
si la chose paraissait toute naturelle.
Et Dieu seul sait si cette chose là ne l'était guère en 1930, alors que
nous vivions plus que modestement dans un logement militaire. Cinq enfants
à nourrir constituaient une bien lourde charge pour un petit sous-officier
de cavalerie. Car à l'époque, les services sociaux étaient nettement moins
évolués qu'ils ne le sont de nos jours.
Ma déclaration fit l'effet d'un pavé dans la mare ! Et, à ce moment-là, je
crois bien que mes parents m'ont cru un peu fou. Quelle chance avais-je
donc de pouvoir continuer mes études ?... Le brevet, passe encore... et
avec une bourse. Peut-être l'école normale... la suite était bien
difficile à envisager... mais les études supérieures paraissaient vraiment
hors de portée.
Et pourtant, je n'en démordais pas : je voulais être médecin pour de bon
!... Ce n'étais pas une simple lubie. Jusqu'au jour où mon père, convaincu
de ma détermination, essaya de trouver une solution, une solution à ma
folie !
La solution, je l'ai trouvée, la seule possible, après élimination de
toutes celles qui comportaient la participation financière de ma famille.
En effet, en 1930, mon père était maréchal des logis chef, dirigeant une
ferme hippique située à Cuperly, dans la Marne, où 500 chevaux destinés à
l'Armée restaient pendant un an en "observation", afin de ne pas
transmettre dans les casernes de cavalerie, diverses maladies
contagieuses, dont la gourme.
La ferme était située à cinq kilomètres du village de Cuperly, mais à
proximité de la gare, le seul moyen de transport pour les chevaux et leur
fourrage étant le chemin de fer.
Toute la famille était logée dans les locaux de cette ferme, où nous
disposions d'un jardin potager, d'un poulailler, d'un clapier, mais, comme
seules ressources monétaires, la solde de mon père. La Sécurité sociale
n'existait pas plus que les allocations familiales. C'est dire que nous ne
roulions pas sur l'or.
En ce temps, les aides de l'Etat étaient distribuées au compte-gouttes :
une bourse ne s'obtenait que moyennant un concours fortement dissuasif et
moi, je voulais sortir de cette condition. Je n'admettais pas cette
répartition en "classes" déterminées à l'avance, où le fils semblait
devoir être condamné à faire la même chose que le père, sans espoir de
promotion sociale. Il fallait absolument que je fasse autre chose, ce qui
paraissait bien présomptueux de ma part, dans cette société figée et
rigide, qui venait tout juste de digérer la "Grande Guerre".
Nous étions cinq enfants, et je ne pouvais pas, je n'avais pas le droit,d'accaparer, pour moi seul, une partie des maigres ressources familiales.
Mon père était militaire... Pourquoi ne pas tenter d'entrer dans les
écoles militaires ? Il suffisait d'y entrer... d'autres y entraient bien
chaque année !... Alors, pourquoi pas moi ?
Mais je ne pouvais participer aux divers concours d'entrée aux écoles
militaires préparatoires qui me permettraient d'envisager de faire une
carrière dans l'Armée. En effet, dans le courant de 1930... j'avais 12
ans... et il fallait en avoir 13. Il me fallait donc attendre une année...
et que faire dans une école communale après le CEP (Certificat d'études
primaires) ?
Je n'appréciais pas de rester "à la charge" de ma famille pour une idée
que la plupart des gens considéraient comme plutôt saugrenue !
|