J'ai donc décidé, avec l'accord de mon père, de me mettre en
apprentissage, ce qui pourrait toujours me servir si, par hasard,
j'abandonnais cette folle idée médicale. Tous les matins, je partais à
bicyclette pour l'atelier de M. Veyron (9 km), mécanicien, armurier,
ancien maître armurier de l'armée (il habitait Vadenay - Marne et nous
habitions Cuperly à l'époque, en bordure du Camp de Chalons, où mon père
avait été muté en 1929). Et là, pendant un an, j'ai réparé des vélos,
nettoyé des fusils de chasse (le lundi était réservé à la remise en état
des diverses armes à feu de la société de tir), à fabriquer des cartouches
de chasse(1) et, le soir, à la maison, je
révisais mon programme scolaire.
Au jour fixé pour le Concours, je n'avais toujours pas reçu de
convocation... Le coup dur ! Mon père écrit au général Commandant la
Division : on m'avait oublié... et on me proposait de concourir seul, à
une date ultérieure, sur d'autres sujets que ceux du Concours. J'accepte
et, un jour, je me retrouve seul dans une salle d'une caserne de Chalons
sur Marne, à 40 kilomètres de la maison familiale... devant un lieutenant.
Le concours écrit devait durer deux jours. D'accord avec l'officier, je
décide de mettre les bouchées doubles et, si possible, de terminer mon
pensum avant le départ du dernier train, afin de pouvoir regagner le foyer
familial au plus tôt, les frais de déplacement restant à notre charge.
Quelle journée ! Mais j'ai tenu mon pari et j'ai pu reprendre mon train
après avoir "satisfait" à toutes les épreuves, français, histoire,
géographie, mathématiques.
Le résultat m'arrive un mois plus tard. Il n'y a guère de surprise,
certain que j'étais d'avoir bien répondu. Et de fait, Je suis reçu... dans
les 3 premiers et admis à participer à une seconde manche, sorte de
promotion interne, pouvant m'ouvrir les portes du seul établissement
secondaire militaire réservé aux fils de sous-officiers : Autun
(2) . Me voici donc en route, avec mes
parents, par le train, pour Autun où je me présente au Directeur de
l'Ecole (colonel Poupard)... et mes parents me quittent pour cacher leurs
larmes... Moi, je n'ai pas le droit de pleurer. C'est notre vraie première
séparation.
Après quelques jours, nous entrons en loge (3)...
Deux cents garçons de 13 ans, jeunes loups aux dents aussi longues que
leurs espoirs.
Quatre jours plus tard, nous ne sommes plus que 40 élus entre tous... et
je crois rêver ! J'en suis !
Un par un, nous passons dans le bureau du capitaine qui commande la
Division, celle-ci étant l'équivalent d'une classe. Il nous jauge, nous
juge, nous questionne, essayant de savoir ce que nous attendons de la vie.
Je lui déclare tout net que je veux être médecin militaire. Le capitaine
me considère avec curiosité, et sans doute aussi un peu de respect pour
cette affirmation aussi nette que précise.
"Tu sais ce qui t'attends ? Quatre ans à Autun, un an à La Flèche, et
puis sept ans à Lyon... Tu n'es pas au bout de tes peines".
En guise de réponse, je lui tends le B.O. (Bulletin Officiel) réglementant
l'entrée à l'Ecole du Service de Santé Militaire, et détaillant par le
menu tout le programme du Concours d'Entrée.
Avec un bon sourire, le capitaine m'a simplement dit : "Bonne chance,
petit !"
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(1) A cette époque où la mécanisation et la standardisation étaient
loin d'être la règle, c'était une des principales occupations des
armuriers civils. Chaque armurier artisan avait ses petits secrets de
fabrication, adaptés à la demande de chaque chasseur local.
(2) Les écoles militaires préparatoires (en
vue du recrutement en priorité de sous-officiers de carrière) étaient Les
Andelys, Billom, St Hyppolite du Fort et Rambouillet, et préparaient les
enfants des sous-officiers au Brevet de l'Instruction publique. Autun
admettait les enfants (titulaires du C.E.P.) en classe de 4e, pour les
conduire au baccalauréat, série B (Mathématiques) obligatoire, ce qui leur
ouvrait la porte du Prytanée militaire de La Flèche, réservé en principe
aux fils d'officiers... Toujours cette distinction de classes ! (J'allais
dire ségrégation.)
(3) Entrer en loge - Expression empruntée aux
Beaux Arts, autrefois réservée aux Prix de Rome, signifiant se soumettre,
sous surveillance, à un concours difficile. |