Avant la Révolution, sous la législation de la
capitation, de la taille et des vingtièmes, ancêtres de nos contributions
foncière, personnelle et mobilière(1), le
soin de percevoir ces impôts était moins une fonction publique qu'une
charge obligatoire pour les citoyens.
Les taxes étaient si inégalement réparties, les privilèges et les
exemptions dont jouissaient certaines classes d'habitants rendaient la
contribution si onéreuse pour les autres, que la perception à proprement
parler était une véritable exécution sur le contribuable. Il ne faut pas
dès lors, s'étonner que chacun répugnât à se rendre l'instrument des
mesures plus ou moins arbitraires et vexatoires envers ses parents, ses
amis ou ses voisins(2).
Il s'établissait d'ailleurs naturellement, entre les contribuables et le
collecteur une sorte de guerre qui aboutissait souvent à la ruine de ce
dernier. Il était pressé par les receveurs généraux des finances, qui le
contraignaient à payer des contributions qu'il ne pouvait parvenir
lui-même à faire acquitter par les redevables, assez ordinairement
misérables et toujours récalcitrants.
Aussi, parmi ceux qui se présentaient volontairement pour exercer la
collecte, il n'était pas rare de trouver des hommes d'une moralité assez
suspecte, qui ne cherchaient dans ces fonctions qu'une occasion de gains
illicites et qui commettaient des exactions de tous genres, contre
lesquelles il devenait nécessaire de porter des peines terribles. La mort,
dans certains cas, n'avait pas paru une punition trop sévère pour protéger
efficacement les contribuables ( Edit de janvier 1634 )
(3).
Dans de telles circonstances, un collecteur aurait pu difficilement se
concilier l'affection et l'estime des habitants; et, soit par crainte du
mépris, soit plus encore pour éviter les conséquences ruineuses de ces
fonctions, elles étaient un objet d'aversion pour tous.
Le législateur les avait donc déclarées obligatoires par le Règlement de
1761, qui avait résumé les dispositions des édits, déclarations et arrêts
du Conseil d'Etat ou de la Cour des Aides en cette matière.
La collecte était, chaque année, et dans chaque paroisse, mise en
adjudication... au rabais; s'il ne se présentait pas d'adjudicataire, on
nommait d'office un collecteur parmi les habitants, lequel ne pouvait
refuser, à moins qu'il ne se trouvât dans un des cas d'exemption prévus
par la loi et dont le tribunal des élus était juge, sauf appel à la Cour
des Aides.
Ce système de contrainte perdura avec les premières lois de la Révolution.
Mais à mesure qu'on put voir que les charges votées par les représentants
de la Nation, et réparties dans chaque commune par les habitants eux-mêmes
pesaient, sans distinction sur chacun, en proportion de ses facultés, on
sentit que l'impôt n'était au fond, qu'un tribut volontaire que payaient
les citoyens pour les dépenses générales de l'Etat
(4).
Dès lors les fonctions de percepteurs perdirent le caractère odieux
qu'elles avaient sous le précédent Régime.
La loi du 5 ventôse an 12 voulut qu'à l'avenir les percepteurs fussent
nommés par le Chef de l'Etat, et fournissent un cautionnement comme
comptables publics. C'est cette règle qui subsiste encore à l'aube du
troisième millénaire.
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(1) Ces termes sont devenus obsolètes dans le langage fiscal actuel;
ils ont été remplacés par ceux de taxes foncières sur les propriétés
bâties ou non bâties, d'impôt sur les revenus et de taxe d'habitation.
Dans le langage courant, on parle toujours de foncier et de cote
mobilière; en fait, peu de choses, en dehors des mots, n'a changé.
(2) Commentaire sur le règlement du 21
décembre 1839 adopté par le Ministre des Finances sur les poursuites en
matière de contributions directes, par Mr Marcel Durieu, rédacteur en chef
du Journal des Percepteurs . Année 1876.
(3) C'est l'année des premiers actes trouvés
sur Nargy. L'année suivante le notaire local rédigera l'acte relatif à
l'élection du collecteur ou asséeur de tailles. Cette même année un arrêt
de la Cour des Aydes déclarera infondée l'imposition mise à la charge du
seigneur du Martroy (Voir Nargis , la vie de château page 83 ).
(4) Faut-il rappeler que ce texte est de
1876; ressent-on nous toujours ce même sentiment de volontariat quelques
cent vingt ans plus tard ? |