A côté de la légende purement folklorique et locale, il y a celle qui a été écrite et répandue jusqu'au 19ème siècle par les lectures du bréviaire, dans le cas présent, celui du diocèse de Bourges. Le bréviaire est le livre qui contient l'office récité ou chanté journellement par les prêtres et les religieux. Une partie - ou heure - de cet office, les mâtines comprend avec des psaumes, des lectures de passages de la Bible, des commentaires des auteurs ecclésiastiques et, aux fêtes des saints, une notice sur la vie du saint du jour.
Ces notices, jusqu'aux éditions modernes où elles ont été corrigées, n'avaient pas la réputation de briller par leur exactitude historique, surtout lorsqu'il s'agissait de saints plus ou moins anciens et obscurs; il faut dire que les auteurs de ces notices avaient cherché plutôt à faire une œuvre, plus édifiante qu'historique. Ce fut le cas de Sainte Montaine.

Monseigneur Villepelet, dans son livre des Saints berrichons (1) nous donne les détails suivants: le bréviaire de 1734 faisait simplement mémoire à Sainte Montaine le 1er octobre. Par contre celui de 1863, à la date du 3 octobre, lui réservait une large place en lui consacrant une légende de trois leçons, empruntée à un ancien lectionnaire du diocèse de Bourges, utilisé jadis dans la paroisse même de Sainte Montaine.

D'après ce lectionnaire reproduit par Labbé (2), Sainte Montaine était une fille de Pépin, Maire du Palais, qui avait été demandée en mariage par un prince d'Austrasie. A la proposition que ses parents lui firent de cette alliance, elle aurait répondu qu'elle ne voulait d'autre époux que Jésus-Christ. A la mort de son père, elle serait rentrée dans un monastère, dont elle aurait été ensuite abbesse.

Le bréviaire de 1917 n'a pas cru devoir reproduire cette légende, et à juste titre, car lorsqu'on la compare avec la vie de Sainte Gertrude, abbesse de Nivelles, on se rend compte qu'elle est presqu'une copie où l'on a fait que changer les noms et quelques circonstances.

Aussi, l'on est en droit de mettre cette vie au nombre de celles qui ayant péri dans les ravages des Normands, ou qui n'ayant pas été écrites jusqu'alors, furent prises ou copiées sur d'autres vies dans le cours du Xème siècle(3).

Ce parallélisme entre les deux vies permet de réduire à néant toutes les hypothèses de la Care ou Cave dont Sainte Montaine aurait été abbesse.

On a copié sur la vie de Sainte Gertrude la phrase " sanctae puellae dominicanae abbatissae orationibus (4) "; un copiste a coupé en deux "dominicanae" et a écrit "sanctae puellae Domini, canae ( ou cavae ) abbatissae ". De là, à transformer cave en care et à placer ce monastère sur les bords du Cher, il n'y avait qu'un pas.

Dans "Le diocèse de Bourges (5)" ouvrage récent, sainte Montaine est simplement mentionnée dans la liste des saints du diocèse avec le qualificatif: veuve; la date de sa fête : 22 octobre; située au 9ème siècle. Et Ferrières dans tout cela?

Monseigneur Villepelet, dans l'ouvrage cité plus haut, même page, indique: " Dans un village du diocèse de Bourges à Dammartin, étaient autrefois vénérées les reliques de Sainte Montaine, à laquelle les malades atteints de la fièvre avaient coutume de demander leur guérison.
Un jour, le moine Aymon, du monastère de Ferrières-en-Gâtinais, souffrant d'une fièvre opiniâtre, ayant entendu parler des prodiges opérés par la sainte se rendit à son tombeau. Revenu aussitôt à la santé, il demanda la permission de passer la nuit en prière dans l'église; mais, à la faveur des ténèbres, il ouvrit le tombeau et osa en retirer les ossements qu'il enveloppa dans un linge bien propre et qu'il emporta furtivement dans son monastère". Et l'auteur sur ce point se réfère à Dom Mabillon.

Voilà comment sainte Montaine serait venue à Ferrières; tout comme saint Benoît à Fleury, à l'état de reliques. Ce fut d'ailleurs chose courante au Haut Moyen Age; chaque abbaye ou église importante, ou voulant le devenir, cherchait à posséder des reliques pour pouvoir établir un centre de pèlerinage ou, au moins, de dévotion. Cela réussit à Ferrières, où le culte de Sainte Montaine s'implanta de façon durable, sans nuire pour autant au culte de la même sainte dans son pays d'origine, à Sainte Montaine qui conservait sa fontaine.

La possession des reliques se faisait parfois par des moyens très originaux, parfois en dehors de toute légalité. Parfois elles provenaient de dons ayant reçu l'approbation de l'autorité ecclésiastique. Certaines paroisses vénéraient un saint dont elles avaient perdu les reliques.

De Ferrières, comment et pourquoi le chef de Sainte Montaine est parvenu à Angluze ? Il n'existe à ma connaissance pas d'écrit justifiant ce transport. Cachés sous une dalle d'une ancienne crypte, les ossements y furent déposés dans un but de protection contre d'éventuelles agressions envers l'Abbaye. Angluze était la propriété de l'abbé de Ferrières et offrait quant à l'épaisseur de ses murailles, des garanties de sécurité. Le rapatriement à Ferrières eût lieu vers la seconde moitié du 16ème siècle, période où pour lutter contre la religion prétendue réformée, le Roi Henri III, avec l'accord du Pape Grégoire XIII, leva des décimes sur les abbayes qui vendirent une partie de leurs biens. Ce fût le cas de l'Angluze, vendu en 1576, à Claude Thiballier, gentilhomme servant d'Anne d'Este , dame de Montargis et de Nemours. Ce gentilhomme était.....huguenot (6). Les garanties d'alors semblaient ne plus être sûres.

 


(1) Bourges 1963 - Chapitre consacré à Sainte Montaine page 154.
(2) Novae Bibliothecae manuscriptorum librorum collectio, Paris 1657.
(3) Histoire littéraire de la France par les bénédictins de Saint-Maur - tome VI page 260.
(4) à la demande d'une sainte abbesse dominicaine.
(5) Paris 1973 - ouvrage paru dans la collection des diocèses de France - page 249.
(6) Quel cercle vicieux. L'argent de notre "huguenot nargissien" alla à l'abbé de Ferrières, qui le versa à Henri III, dans le but d'éteindre l'hérésie, donc les huguenots.