La châsse de saint Pipe conservée en l'église
de Beaune renferme un certain nombre de documents. Parmi ceux-ci figure
une liasse de papiers intitulée : « Partye des pièces contre quelques
particuliers de Boiscommung qui avoient mal parlé contre Monsieur Saint
Pipe ».
Ce procès fut jugé en 1554 et si d'autres documents plus anciens se
trouvent dans la châsse, cette liasse présente un intérêt tout particulier
car elle donne sur le culte de saint Pipe au XVIe siècle et sur ses
origines de précieux détails.
Un registre malheureusement incomplet. contient encore en quarante-trois
pages manuscrites les dépositions de vingt-cinq témoins. Nous pouvons
ainsi apprendre ce qu’on reprochait à ses gens de Boiscommun.
Un jeudi de l’an 1554 donc, jour de marché, une nombreuse assemblée est
réunie à Boiscommun chez Jean Berthelot hôtelier près de la halle.
Plusieurs habitants de Beaune surviennent et le dialogue suivant
s’engage :
(Berthelot). - Dieu vous garde Messieurs de Saint Pipe de Beaune.
Vous avez été à la procession?
(Hardy) . - Vous étiez tenu d'y venir comme les autres.
(Berthelot). - J'ai été à Beaune avec l'huissier Poullin, mais pas pour
la procession. C'était pour faire mettre en prison un homme qui me devait
de l'argent. Par la vertu-Dieu ! il n'y a point de saint Pipe pas plus que
de diables. Saint Pipe ça ne vaut que dix poinçons
(1). C'est un gentil saint. L'évêque qui vint
dernièrement à Beaune a défendu de donner son nom aux enfants. Les os que
vous avez dans la châsse sont des os de chevaux que la grand-mère de
Jacques Gombault avait été chercher dans son tablier près de l'étang de
Beaune en un lieu où on traînait les chevaux morts. C'est Jacques Gombault
qui me l'a dit. Je vous ferais bien rompre votre châsse pour voir ce qu'il
y a dedans. Ceux qui la révèrent sont des idolâtres. Ils la portent, pour
adorer les grenouilles à une fontaine qui n'est qu'un margouillat.
(Besson) . - Les os qui sont dans la châsse ont été translatés par un
évêque. Je crois qu'il y a un saint Pipe comme mes ancêtres l'ont cru.
Vous n'oseriez soutenir ce que vous dîtes.
(Berthelot). - Par le corps - Dieu, si ! je le ferai.
(Hardy) . - Vous êtes luthérien et ne faites pas comme les autres. Vous
êtes méchantes gens et je ne m'ébahis pas si nous avons beaucoup de maux.
(Suivent alors les) dépositions de Robert Marchant, Gilles Besson,
Estienne Demay, Jehan Lebeau, Jean Gauchet, Pierre Legras et Mathurin
Bréchemier.
Le 12 juin, à Beaumont, chez l'hôtelier Jehan Pellegrin, se rencontrent
Pierre Baudeau (2) et Edme Bernard de
Boiscommun qui tiennent de semblables propos et s'entendent répliquer par
Jehan Buisson: "Ce n'est pas d'aujourd'hui que vous en voulez entre
vous de Boiscommun à tous ceux de Beaune" (déposition Jehan Bonnault).
Le 15 juin enfin, Berthelot soupe à Nemours, hôtel de l'Ange, et quelqu'un
dit: " Comme il pleuvoit, Dieu et M. Sainct Pipe nous a bien aidés voicy
ung gentil temps a quoi led. Berthelot dist, par la mort dieu, tu es ung
gentil compaignon veult tu soutenir qu'il y ait ung St Pipe..."
(déposition Mathurin Couloys).
Le cardinal de Bourbon, abbé de Saint-Denis, seigneur de Beaune et
les
marguilliers de la paroisse portèrent plainte. Berthelot, Baudeau et
Bernard, incarcérés à la Conciergerie à Paris, furent jugés le 4 octobre
1554 au Parlement de Paris.
"La cour a condamné et condamne lesdictz Berthelot, Baudeau et Bernard
à assister dévotement et revèrement à une grande messe qui sera dicte à
leurs dépens à jour de dimanche en l'église parroichialle de Beaulne... à
laquelle messe seront dictes les prières oraisons et aultres suffrages
accoustumez estre dictz et célébrez en ladite église le jour feste et
solemnité dudict Sainct Pipe... Et oultre les a condamnez et condamne ung
chacun d'eux seul et pour le tout en la somme de douze livres parisis
applicable scavoir est quatre livres envers lesdictz marguilliers le
ladicte église Sainct Martin dudict Beaulne et huit livres envers les
pauvres dudict Beaulne... Et sy a faict et faict icelle cour inhibitions
et deffenses ausdictz Berthelotn Baudeau et Bernard de doresnavant tenir
propos scandalleux contre les sainctz et les sainctes de paradis mesmes
contre Monsieur Sainct Pipe et leur enjoinct de bien vivre et de porter
honneur et reverance aausdictz sainctz sur peyne de punition corporelle...
Et néantmoings nentend la cour que pour raison du contenu en ce présent
arrest lesdictz prisonniers encourent aucune notte d'infamye...".
La peine, en cette époque de luttes religieuses , était indulgente et des
documents contenus dans la châsse mentionnent qu'elle fur subie le 21
octobre 1554.
Dès le XVIe siècle, la dévotion à saint Pipe fut donc attaquée dans son
fondement même et il faut voir dans le grand mouvement d'idées qui agita
la France, à partir de cette époque, l'une des causes de son déclin.
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