En route vers l'ouest et, à la nuit tombante, nous
arrivons à Port Lyautey (1). Un hôtel fort
correct nous accueille. Une chambre immense avec une interminable
terrasse, deux lits confortables et un menu superbe nous remontent un peu
le moral. Nuit sans histoire et reposante. Nous arrivons à Tanger où je
m'enquiers des départs du ferry pour Gibraltar. Pas de place avant quinze
jours, avec la possibilité d'aller au port chaque matin, de bonne heure,
et d'y attendre l'heure de l'embarquement : il y a toujours quelques
places disponibles au dernier moment, m'a dit l'aubergiste qui nous loge.
C'est le règne de la grande patience. Une chambre d'hôtel nous permet de
dormir et d'être dispos chaque matin vers quatre ou cinq heures. La file
des voitures admises à embarquer s'arrête soudain... trois ou quatre
places... et demi-tour vers l'hôtel. Il nous a fallu attendre deux jours
de la sorte. Le troisième jour, le 29 juin, ma fille et moi nous sommes
finalement retrouvés avec la voiture à bord d'un bateau.
Je me suis présenté à la douane, demandant ce que je pouvais faire des
billets marocains. L'employé a haussé les épaules : quelle importance,
puisque ces coupures perdaient toute valeur hors du Maroc, cet argent
n'étant bien entendu pas convertible.
Sur le port, au cours de mes attentes successives, j'avais pu changer au
marché noir quelques dirhams contre des pesetas. Il fallait tout de même
un peu d'essence pour atteindre Irun ! Echanges bien au dessous du cours
bancaire, mais que faire d'autre ?
Le bateau quitte le port, pour entrer dans une brume épaisse et navigue à
petite vitesse. Nous arrivons à Gibraltar vers seize heures. Débarquement,
formalités réduite. Puis, c'est La Linea, poste frontière espagnol.
Nouvelles formalités rapide et enfin, nous voici en Espagne. Direction
Malaga, sans avoir pu changer le moindre billet de banque, les bureaux de
change fermant à 16 heures en Espagne.
En raison de nos maigres ressources en monnaie espagnole, j'avais décidé,
dans ce pays de montagnes, d'économiser le précieux carburant en coupant
le contact dans les descentes, pour reprendre le moteur à la moindre
montée. C'était un mauvais calcul et une imprudence coupable dont je me
suis rapidement rendu compte. Dans la descente d'un col entre Malaga et
Grenade, j'ai failli écraser un cycliste qui, par "mesure de prudence"
roulait sur la ligne blanche au milieu de la chaussée. Le revêtement était
en mauvais état. Seule la ligne blanche lui offrait un ruban idéal de
roulement. Je ne pouvais le doubler à gauche, et je craignais de le voir
se rabattre brutalement sur sa droite en entendant mon moteur qui, pour
l'instant, ne faisait aucun bruit, puisque coupé pour la descente. Le
klaxon ne semblait pas devoir lui faire reprendre une ligne de conduite
normale mais, voyant monter en sens inverse une énorme charrette de foin,
je remis mon moteur en route. A ce moment, le charretier a crié quelque
chose en espagnol, à l'intention du cycliste (j'ai bien cru qu'il
l'injuriait) qui s'est rabattu sur la droite. J'en ai profité pour le
doubler... et je n'ai plus jamais coupé mon moteur.
Route au nord, donc, direction Madrid. Nous embarquons un soldat espagnol
qui y rentre. Il ne parle pas un mot de français et nous pas un mot
d'espagnol.
Route de nuit, sans radio. Nous déposons notre militaire à Madrid.
Direction Burgos. Nous mangeons un sandwich acheté dans un bar de Madrid.
Sept heures du matin : nous sommes en vue de Burgos, engourdis de fatigue.
Je me gare sur le bord de la route, nous fermons portes et glaces et nous
nous endormons sans entendre le bruit des camions qui passent.
Neuf heures. Je me réveille et secoue ma fille. Nous entrons dans Burgos,
à la recherche d'une banque qui voudrait bien accepter de changer un peu
de notre argent. Nous aboutissons à une petite agence d'une "Banco Popular"
qui y consent malgré l'heure incongrue. Toutes les autres banques sont
ouvertes, le personnel aux guichets, mais il est beaucoup trop tôt en
Espagne.
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