Berguent nous accueille fort civilement. Les douaniers
regardent à peine nos papiers. Bon voyage jusqu'à Oujda où nous cherchons
la résidence du consul de France. Belle propriété, jardins bien ombragés
de palmiers et d'orangers. Accueil très amical du consul en personne, qui
examine nos papiers et nous confirme que notre voyage vers Melilla ne pose
aucun problème. Une anisette bien fraîche nous fait oublier nos petits
incidents routiers. Nous déjeunons dans un petit restaurant arabe : plats
locaux, beignets au miel. Sans doute les derniers de notre séjour.
Il est environ seize heures quand nous nous présentons au poste de douane
marocain d'El-Anzar. Il y règne une sorte d'agitation fébrile qui n'est
pas faite pour me rassurer. Un douanier moustachu me demande en français
ce que j'ai à déclarer. Il fait l'inventaire rapide du chargement. Il
passe à l'arabe et paraît avoir oublié son français fort correct. Je
réponds donc en arabe et lui tends mes papiers : passeport, visa, lettre
du consul d'Oujda. Il y jette un coup d'oeil et, tout à coup il ne parle
et ne comprend plus que l'espagnol ! Un peu déconcerté, j'essaie de
rattraper son arabe. Rien à faire ! Il nous fait garer sur un parking et
entreprend de refaire l'inventaire de mon chargement, tique un peu sur mon
matériel caméra et appareil photo et, tout à coup, ouvre une serviette et
brandit une liasse de billets de banque algériens. El Flouss... Tiens, il
a retrouvé l'usage de l'arabe ! Mais il confisque le total : le flouss
bien sûr, mais aussi tous les papiers de la voiture, avec la clé de
contact. Il nous garde en fourrière !
A force de persuasion, j'arrive à trouver le chef des douaniers. Je lui
explique que je suis en transit, en règle et que je ne comprends pas cette
arrestation arbitraire. Après des tractations sans fin, j'obtiens de
repartir à Oujda. On me rend les papiers, l'argent et les clés de la
voiture.
A Oujda, je retrouve le consul qui ne comprend rien à cet incident, mais
m'apprend qu'il y a fermeture de la frontière entre le Maroc et le Maroc
espagnol. Il me tend un papier à en-tête du consulat, attestant que je
suis "en règle" et que rien n'interdit la poursuite de mon voyage. Retour
à El-Anzar.
Le chef de poste est absent. Le douanier nous reprend les papiers et les
clés de la voiture... ainsi que l'argent, me laissant toutefois quelques
billets pour le restaurant et l'hôtel. Le chef de poste ne sera là que
demain matin.
Nous embarquons dans un car qui nous conduit à Nador. Nous mangeons sans
faim. Les chambres ferment mal et nous ne dormons que d'un oeil dans ce
pays qui compte un camp d'entraînement de fellagas algériens. Nuit courte.
Retour à El-Anzar. Jusqu'à midi, toujours pas de chef de poste. Il nous
faut revenir dans l'après-midi, mais le chef de poste ne vient pas et on
nous autorise à passer la frontière pour aller à Melilla... mais la
voiture reste en fourrière.
Dans cette ville très espagnole, nous retrouvons quantité d'Oranais, des
enseignants pour la plupart, en attente d'un bateau pour l'Espagne, mais
ils sont déjà en territoire espagnol, eux ! Nous mangeons de bon coeur et
passons une nuit fort agréable, après avoir changé (au marché noir !)
quelques billets marocains contre des pesetas.
Retour à El-Anzar. Le chef de poste fantôme n'est toujours pas là, mais il
ne devrait plus tarder. Il arrive en fait vers onze heures... et il nous
reçoit. Je lui tends mes papiers et la dernière lettre du consul. Il les
regarde à peine, lit la lettre du consul, la plie en quatre... la déchire
et la jette au panier. "Aucun intérêt", me dit-il sans sourciller.
Après quelques propos sans utilité, et sans me fâcher, je lui pose la
question : "Quelle somme d'argent voulez-vous ?"
Une pause de réflexion. Sa réponse me sidère : "Rien pour moi, mais je
vous condamne à verser 100 000 dirhams (100 000 anciens francs) pour
transport clandestin de fonds étrangers."
Je n'ai aucune envie de discuter. Je signe le p.v. d'amende et lui dis :
"Il faut donc changer les billets à la Banque du Maroc", qui se
trouve à deux pas de là.
"Oui, dit-il, mais la banque est fermée depuis onze heures trente. Elle
ouvre à quinze heures."
Nous mangeons je ne sais quoi et, à l'heure dite, nous nous rendons avec
un douanier au bureau de la banque où l'échange se fait. Retour au poste.
Je remets 100 000 dirhams au chef de poste, moyennant reçu.
On me rend ma voiture, mes papiers, les clés et ce qui reste de mon
argent... mais il m'est interdit d'aller à Melilla. Je dois me rendre à
Tanger si je veux embarquer. C'est-à-dire traverser le Maroc d'est en
ouest pour trouver une place problématique sur le ferry de Tanger à
Gibraltar. Cela signifie que, pendant ce temps, je vais jouer bien
involontairement au touriste et laisser sur place une partie des devises
que je pensais consacrer au voyage en Espagne, puis en France et garder un
petit pécule pour ma future installation médicale. Il me reste 300 000
dirhams qu'aucune banque ne me changera. Tout bénéfice pour le Trésor
marocain.
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