Un jour, à table pour déjeuner, j'aperçois un homme habillé de bleu (un targui) accroupi dans la cour de l'hôpital, laissant saigner, goutte à goutte, un énorme chou-fleur de son front.


Il est admis, bien entendu. Et nous décidons, avec le Toubib Seghir, d'enlever cette tumeur qui semble bien circonscrite, libre en profondeur, sans aucun ganglion décelable.


Nous disposons heureusement d'un bistouri électrique et l'ablation du chou-fleur ne pose qu'un problème : celui de combler le trou. La peau, fort heureusement, se prête à tous les plissements que nous lui demandons et nous suturons sur un drainage filiforme (1).


Le Targui guéri a quitté l'hôpital depuis plusieurs semaines quand nous parvient le résultat de la biopsie envoyée à Alger : tumeur sans aucun signe de malignité.


Et dans les semaines qui ont suivi (le téléphone arabe fonctionne sans fil, sans ondes hertziennes, mais il est admirablement efficace !), nous avons vu arriver de petites caravanes de dromadaires montés par des hommes bleus, venant de St Louis  - trois semaines de voyage à travers l'enfer du Tanezrouft - pour se faire soigner par les toubibs d'Adrar.


Nous en étions quand même un peu fiers, n'est-ce pas docteur Bourgeois ?


Mais il ne faudrait pas croire que ces activités médicales étaient notre unique raison de vivre. De temps à autre, un épisode cocasse ou imprévu venait ajouter un peu de sel à cette vie austère et laborieuse.
Une de mes filles venait de faire sa communion Solennelle, un dimanche d'avril, à l'occasion du passage de Monseigneur Mercier, évêque du Sahara, que nous ne voyions guère que tous les deux ans, son diocèse immense d'une superficie supérieure à celle de la France entière ne lui permettant pas de faire mieux.


Nous avions tout commandé à Alger à Air-Service sorte de coopérative montée par Air France pour ravitailler ceux du sud . L'avion tombe en panne : rien n'arrivera à la date prévue. Ma femme fabrique une aube dans un tissu local servant à la confection des haïks - voile blanc des musulmanes. Beau travail, mais à l'essayage, nous remarquons des raies rougeâtres sur l'aube : le tissu entreposé plié a soigneusement "absorbé" le sable rouge du Touat, marquant ainsi chaque pliure. On lave donc l'aube, le séchage ne posant aucun problème au Sahara ! Et nous nous apercevons que l'aube immaculée arrive aux genoux de ma fille. Il faut rallonger et tricher pour rendre ce "volant" plausible... ce qui fut fait.
 

Adrar 1957: le toubib Seghir et mon épouse

 

La nourriture est coincée dans l'avion en panne. Le "Toubib Seghir" fait le tour des palmeraies voisines - une des mes filles l'accompagne- pour trouver quelques poulets de remplacement, en comptant qu'il faudrait au moins deux poulets locaux pour remplacer un poulet normal. Ce ne fut pas une petite affaire... mais ils en trouvèrent.


Le jour de la cérémonie, le père blanc rassemble les enfants dans l'église d'Adrar pour une ultime répétition des cantiques. L'évêque n'est toujours pas arrivé : son Norecrin piloté par le R.P. Armel, pilote confirmé après un passage dans la R.A.F. de 1940 à 1945, a disparu... Les enfants s'énervent et le père blanc les renvoie chez eux avec la consigne de rejoindre l'église quand le petit monoplace sera en vue.


L'attente fut longue pour les enfants, pour les parents, pour les cuisiniers et pour les serveurs. Quand, tout à coup, venant du sud alors qu'on l'attendait au nord, l'avion apparaît, fait deux fois le tour d'Adrar et se pose enfin sur l'aérodrome. Les voitures de service conduisent les deux arrivants au bureau de l'Annexe. Monseigneur Mercier souriant, le R.P. Armel, malicieux, nous explique qu'il a fait un petit détour pour présenter son diocèse à l'évêque volant.
 


(1) Faisceau de crins synthétiques qui sortent de la plaie suturée et permet l'écoulement des fluides indésirables.