A 1 200 kilomètres d'Alger, la vie s'écoulait
lentement, au rythme lent de la philosophie islamique en pays chaud, sauf
pour le "toubib", bien entendu, obligé de faire face à toutes les
urgences de plus en plus fréquentes avec le développement de la
mécanisation. Car l'inhumaine mécanique n'épargne rien, même pas la vie
saharienne depuis toujours rythmée par le pas lent des dromadaires. Ils
sont de plus en plus rares, d'ailleurs, ces "bahirs" grognants et
souvent méchants, remplacés par les Jeeps ou les camions, plus rapides
mais qui font mourir les antiques caravanes.
Mais le progrès veut sa rançon et les accidents se sont multipliés en même
temps que les moteurs.
En ce mois de mars 1951, les incantations accompagnant la fécondation des
palmiers commençaient à se raréfier à mesure que les hommes terminaient
leur travail de pollinisation et les visiteurs venus du nord profitaient
de ce début de printemps pour faire quelque voyage d'inspection. C'est
ainsi que j'attendais la visite du médecin Inspecteur de la santé
scolaire. En plus de l'école des pères blancs et de celle des soeurs, nous
avions un magnifique groupe scolaire tout neuf et une école de quatre
classes à Hassi El Gara.
Mon inspecteur arrive donc un jour, par avion, le petit Lockheed de la S.A.T.T., qui devait "remonter" à Alger deux jours plus tard,
retour de Pointe Noire.
Installation dans les chambres d'hôtes de l'Annexe et nous nous retrouvons
chez le capitaine Mouret pour le repas du soir. Je l'invite à partager mon
repas, en famille, le lendemain midi avant d'aller visiter les écoles, car
l'importance de la consultation du matin ne me permettait pas de
m'absenter avant midi.
Je commence donc de bonne heure, mais j'ai bien l'impression de n'avoir
jamais vu autant de malades à cette fameuse consultation matinale. Enfin,
la foule diminue et un peu après douze heures j'envisage de rentrer chez
moi avec mon médecin inspecteur qui vient de me rejoindre après un petit
"circuit touristique" dans la palmeraie, piloté par le Tordjman.
Et j'ai fini ! J'enlève ma blouse, me lave les mains... quand un bruit
épouvantable s'enfle à mesure qu'il approche. Un Dodge hurle de tout son
klaxon, moteur grondant au maximum de ses possibilités, au milieu de
hurlements humains.
Le Dodge s'arrête à la porte du dispensaire, une grappe humaine se
désagrège et m'apporte un brancard sur lequel je reconnais Marroki, un
employé civil de la Compagnie saharienne du Génie. Le capitaine commandant
la C.S.G. m'explique rapidement l'accident.
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