Avant de proposer la vie des Nargissiens à l'ombre de leur clocher, il me vient à l'esprit le poème de Paul Fort, intitulé " le plateau des trois clochers (1)".La localisation du lieu qui avait inspiré le poète a été faite ; il n'existe qu'un seul endroit où l'on puisse apercevoir les trois clochers : c'est proche des bois de Pithurin, sur l'ancienne voie de Ferrières à Château-Landon, appelée le G.R 13


LE PLATEAU DES TROIS CLOCHERS

 

"Des bois noirs de Toury, chère, quand nous sortîmes, ce dimanche matin, sous l'averse argentine des angélus, vingt champs d'épis pleins de frissons couvraient tout le plateau jusqu'au large horizon.

" Au sud, au nord, à l'est du plateau des moissons, et suspendant sur elles un triangle d'azur, s'effilaient doucement trois clochers dans l'air pur, de bourgs où nous vécûmes, et vivons, et vivrons ...

" Les cloches des trois tours dont l'une est un beffroi, tout en sonnant matines, nous chantaient à la fois, la cloche de Château-Landon, nos souvenirs, de Nargis, l'heure même, de Ferrières, l'avenir.

" A ton ombre, clocher, qu'il nous fut doux de vivre, clocher roux de Landon que dorent les beaux jours, que le Fusin reflète et qui toujours s'entoure du ténébreux quadrille des corneilles actives !

" Lors nous vivions chez nous, faut-il nous le redire, toujours chez nous, dans cette auberge " à la Croix d'Or ", toujours croisée ouverte et l'église en décor de nos amours: Clocher, n'es-tu qu'un souvenir ?

" Nargis, vous, mon petit Nargis tout jardiné de roses et de lys et qui, des graminées les plus vives au vent, caressez vos toits roses, je voudrais sur votre clocher dire une chose.

" Souffrez le: nous vivons en bonne compagnie depuis sept jours bientôt. - Comme passe la vie ! Il a l'air, mon petit Nargis, votre clocher ( je vous aime ! voyons ! n'allez pas vous fâcher )

" d'un casque à pointe. Absolument. Clocher français, n'avez-vous pas de honte ? Oh ! vous pleurez ? Je vais vous consoler un brin ... Vous semblez, ce matin, la sonnette agitée d'un géant sacristain.

" Mais le son que vous répandez est un délice tel, que tendent l'oreille hommes, roses et lys, tel aussi, que pour mieux l'entr'ouïr, ce dimanche, des anges de blé glissent en robe blanche.

" Ainsi parlais-je, ayant ma mie auprès de moi, qui me dit: " Et cet autre?" en me montrant du doigt le clocher de Ferrières, élancé bel et rond. - " Ferrières, c'est l'avenir, hé ! ma mie, nous irons .

" Nous irons, nous verrons sa menue Vierge noire, dont la tête, au milieu doré d'un reposoir, n'est pas plus grosse qu'un pruneau; mais si jolie, qu'elle est miraculeuse en temps d'épidémie.

" Nous irons, nous verrons à l'ombre de l'église, l'arène où combattaient rétiaire et mirmillon, voire où Pépin le Bref abattit son lion. Mais de cet avenir faisons bien l'expertise.

" Nous irons voir le dais que l'on porte en clochant, courant, sautant, le jour de la Saint Greluchon, et qui supporte alors la Vierge aux yeux dardés que Gaspard le Roi nègre a dû trop regarder,

" et sous lequel il faut embrasser sa promise, pour avoir des enfants plus tard: vite on la bise ! - tout comme ici je fais, sous le dais bleu des cieux, vite votre joue, moins vite sur vos yeux ".

" Ah ! sonnez les trois cloches, sonnez avec émoi notre éternel bonheur! chantez-nous à la fois, la cloche de Château-Landon, nos souvenirs, de Nargis, l'heure même, de Ferrières l'avenir ! "

 


(1) Ballades Françaises. Monsieur Paul Fort "prince des poètes". Editions Figuières - année 1911. Bibliothèque Durzy à Montargis. Né à Reims en 1872, il décède le 20 avril 1960 à Montlhéry. Il se passionna très tôt pour les aventures hardies, celles du moyen âge en particulier auquel il emprunta sa forme poétique: la ballade. Les premières furent éditées en 1897. Elles occupent une quarantaine de volumes de son oeuvre qui lui valurent le titre de "prince des poètes". Certaines de ses ballades chantent dans bien des mémoires: "Le petit cheval blanc", "la Marine", mises en musique par Brassens, "Si tous les gars du monde voulaient s'donner la main" etc... Vers 1900, il vint passer des vacances à Nargis qui lui inspira quelques poèmes.