En 1950, il n'existait à El-Goléa qu'un seul hôtel,
celui de la S.A.T.T. (Société africaine de transports tropicaux), filiale
de la Transat et ancien mess des officiers au temps où El-Goléa possédait
une véritable garnison.
Les voyageurs de marque étaient habituellement adressés au chef d'Annexe
(Capitaine Mouret à l'époque). En plus de son logement de fonction, il
disposait d'un certain nombre de chambres d'hôtes (le Dar Diaf, la maison
des invités) situées dans l'enceinte de l'Annexe et donc faciles à garder.
Ces chambres, sortes de motel administratif, recevaient donc les personnes
plus ou moins chargées de mission, munies d'une lettre d'introduction du
G.G. (lire Gouvernement général).
Le chef d'Annexe était en quelque sorte requis d'héberger certaines
personnalités, de les promener et de les distraire pendant leur séjour
dans la palmeraie, en assurant leur sécurité éventuelle.
Combien en avons-nous vu passer ? Et je dis nous, car le chef d'Annexe ne
pouvant y suffire à lui seul, déléguait sa mission touristique ou
hôtelière à l'un de nous (son capitaine adjoint, le lieutenant interprète
- le Tordjman - ou à moi-même puisque nous n'étions que quatre officiers).
Certains de ces voyageurs étaient véritablement en mission. Pour d'autres
- la majeure partie - les buts étaient plus vagues, l'intérêt touristique
étant le plus fréquent et le plus évident. Et parfois, nous enragions de
devoir accompagner certains visiteurs (des V.I.P.) alors que notre travail
quotidien suffisait à remplir des journées toujours trop courtes.
Des NOMS ! Bien sûr, mais pas tous car certains qui vivent encore
pourraient se vexer à posteriori.
C'est ainsi que nous avons vu arriver, et ce n'était pas une corvée, M.
Paul Auriol, portant un magnifique plâtre de marche après une fracture de
la jambe au cours d'un randonnée à skis. Puis ce fut son épouse,
Jacqueline Auriol, avec ses enfants. Et enfin... et ce n'était pas un
mirage, le président Auriol en compagnie de Madame Auriol.
Leur séjour nous a laissé, à tous, le souvenir d'une famille française
toute simple, pleine de gentillesse, sans l'ombre d'une velléité
protocolaire. Une seule ombre au tableau : la veille de leur départ,
Jacqueline Auriol m'appelle de sa chambre : une angine épouvantable. Elle
venait de rentrer des Etats-Unis après son grave accident aérien au cours
d'une tentative de record en hydravion et y avait épuisé toutes les
ressources antibiotiques dont nous ne connaissions guère l'existence que
par la presse. Mon embarras fut grand devant ce problème, mais je me dis
que là où étaient passés tous ces antibiotiques, les germes auraient
peut-être "oublié" l'existence des "sulfamides". Je lui
donnais donc de la "Gonacrine" et le lendemain la famille Auriol au
complet nous quittait, l'angine en bonne voie de guérison, Jacqueline
Auriol me laissant un gentil petit mot de remerciement.
Il m'arrive de reprendre cette feuille de papier et je me souviens d'une
jeune femme, éclatante, rayonnante, se promenant dans les allées du parc
de l'Annexe, s'arrêtant pour cueillir une rose, la respirant et disant à
ma femme : "Quel dommage de ne plus rien sentir" (son accident
d'avion lui avait laissé une anosmie complète) et je crus voir que ses
yeux avaient soudain changé d'éclat... rappelant celui qu'ils prennent
quand on va pleurer.
Il y eut la famille Viollet (Byrrh à Thuir) en avion particulier en voyage
d'agrément à l'occasion de la réussite d'un des enfants au baccalauréat.
Cinq personnes, plus l'équipage du DC-3. Leur séjour fut de courte durée,
mais leur gentillesse conquit toute la population.
|